Depuis que j’ai appris, il y a une quinzaine de jours l’existence du logo Just Cavalli dont la ressemblance avec celle de l’école soufie MTO Shahmaghsoudi est pour le moins troublante, j’ai lu de nombreuses réactions d’élèves de cette école, dont je fais moi-même parti, qui remettent en cause l’utilisation d’un symbole sacré. Mais quand on évoque le sacré, sait-on seulement ce que c’est ?
Il y a tant de sacrés religieux ou profanes, comme le drapeau par exemple ; en fait il y a autant de représentations du sacré qu’il y a de communautés petites ou grandes dans l’histoire. Tant de gens sont morts et meurent encore en voulant défendre et servir leur sacré. Non, ce qui est en cause pour moi dans cette affaire, ce n’est pas l’atteinte au sacré, mais plutôt l’usage qui est fait de la représentation du sacré. Utiliser les représentations appartenant à la sphère religieuse pour satisfaire un objectif commercial, n’est-ce pas une forme d’imposture ?
Pour tous ceux qui ont été scolarisés en France, le personnage de Tartuffe chez Molière représente l’incarnation même de l’imposteur. Tartuffe ou comment une âme faible et sans grandeur, mais mue tel un pantin mécanique – pour emprunter cette métaphore à Kubrick – par toutes les pulsions biologiques de son corps, parvient à force d’hypocrisie à se hisser au sommet de la société.
Le temps des faux dévots n’est plus dans nos sociétés séculières mais est-on bien sûr que les Tartuffes ont disparu ? Le personnage de Molière invoquait Dieu pour satisfaire son appétit terrestre ; aujourd’hui que triomphe l’économie du marché et que les valeurs sont cotées en bourse, quel besoin a-t-on encore de faire un détour par le ciel pour y goûter ? Le corps, ce fruit, il n’est après tout qu’à tendre la main pour le saisir.
Mais il semble que les nourritures terrestres par leur trop grande accessibilité même soient devenues trop fades sans le sel du ciel. Cavalli dope ses ventes à coup de détournements des valeurs hindoues, chrétiennes et musulmanes comme d’autres gagnaient des tours de France à coup d’OPE : « à l’insu de son plein gré. »
La chaire est triste, tout le monde le sait ! Il faut y mettre de l’interdit, de la révolte, de la perdition. Beaucoup de « créateurs » de mode s’inspirent des fêtes de Caligula ou de Néron, et Cavalli en est lorsqu’il envoie sa troupe de mannequins à Ibiza ; mais l’empereur de la décadence ne peut fournir au « créateur » de mode son « concept » porteur, ce truc que tout le monde croit connaître sans vraiment savoir ce que c’est. Ce « truc » que l’on croit connaître sans le connaître c’est Dieu, et finalement c’est le meilleur concept que le marketing puisse rêver d’inventer. Le frisson des sens n’est jamais aussi fort que lorsqu’on croit défier les lois de Dieu, c’est ça le truc que Cavalli a bien compris. Quand Cavalli invoque la morsure du serpent – the snake bite – il ne fait pas que masquer la ressemblance de son logo Just Cavalli avec celui de MTO Shahmaghsoudi, il va chercher dans la Bible ce sel qui manque à sa pâte.